Une pensée
atelier racolta

UNE PENSEE AU SERVICE DU PROJET

Nous ne sommes ni philosophes ni exégètes mais il nous paraît indispensable de nous interroger sur ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons et comment nous le faisons. Quelles quel ‘elles soient les époques ou bien les lieux, nous – penseurs et artisans de l’espace, devons faire cet effort pour comprendre les enjeux qui régissent et motivent l’acte de bâtir. Si nous nous dérobons à cet exercice tout risque de devenir insignifiance et médiocrité. La construction coûte cher à la Terre, au portemonnaie, en temps et énergie déployée ; le moins que l’on peut attendre c’est qu’elle soit belle, responsable, durable et utile.

croquis crayon

« …la tâche de l’architecture de rendre plus clair à nos yeux ce que nous pourrions idéalement être[1]. »

[1] Alain de Botton, L’architecture du bonheurs de vie.

Question d’architecture

La langue de l’architecture n’est pas celle des mots, elle existe et elle s’exprime par sa simple présence. C’est une forme d’art qui, par sa corporalité, génère une réaction émotionnelle. On peut être ému par un opéra comme on peut l’être aussi par une chanson populaire. L’architecture paysanne dite vernaculaire peut être tout aussi émouvante que celle dessinée. L’architecture est tout d’abord une attitude du bâtisseur face à un paysage[2]. Elle prend sa source dans ce dernier et elle doit lui être indissociable. Autrement dit, l’authenticité de la construction se mesure aux vérités du paysage.

 

Il y a deux millénaires, l’architecture fut définie par Vitruve comme étant un acte de construire conscient et recherché assurant la solidité de l’ouvrage, son utilité et sa beauté. A l’image du monde romain, dont il est issu, Vitruve établi un « code » qui établit des principes fondamentaux de l’architecture. Mais ces principes excluent l’importance capitale de l’époque et du lieu dont l’architecture doit trouver son assise.

 

Au XXème siècle une prise de conscience de l’époque est réelle dans la définition de l’architecture. Pour Mies van der Rohe « l’architecture est comme expression du lent déploiement d’une époque. Une époque est un processus lent. » Plus tard, Jean Nouvel affirmera « l’architecture est souvent considéré selon la définition d’Auguste Perret comme l’art d’organiser des espaces, sans nier cette évidence je préfère voir l’architecture avant tout comme une pétrification d’un moment de culture… ».

 

Dans un monde en constante accélération, les époques se suivent et avec elles des impératifs, sans cesse inédits et différenciés. Après la deuxième guerre mondiale, construire à Berlin n’est pas la même chose qu’à New York ou bien à Jérusalem. Les réalités politiques, historiques, mémorielles, financières, idéologiques vont forcer l’acte de bâtir à en devenir de plus en plus des témoignages pétrifiés de leurs époques et de leurs territoires. L’architecture doit parler de plus en plus du contenant et du contenu. Construire pour l’individualité c’est aussi construire implicitement un projet de société et inversement. 

 

De nos jours il nous ait enjoint, par les consciences et par la loi, d’intégrer dans la construction une attitude plus responsable à l’égard des moyens utilisées et des énergies dépensées au nom de l’architecture. Le principe de réalité, avec le réchauffement climatique constaté et l’augmentation significatives des gazes à effet de serre, nous oblige de réagir.

 

Des solutions techniques sont mises au jour tous les matins, plus ou moins complexes, plus ou moins intelligentes et onéreuses. Cette déferlante de règlements, de solutions tout faites, de mise en conformité, d’ultra spécialisation des intervenants, conduit cependant, à quelques exceptions, à l’élaboration d’une architecture qui est bien souvent de très mauvaise facture et mauvaise qualité. La création parle de moins en moins du lieu, du paysage et des relations intimes qui peuvent les relier.

 

Trop souvent nous voyons émerger des bâtiments apathiques et disgracieux. Sans le faire expressément, la création est un processus qui se fonde sur une banale combinaison d’insignifiante ambition, d’ignorance, de cupidité et de hasard. C’est ainsi que l’architecture devient une erreur, de plus ou moins grande dimension, figée dans l’espace qu’elle ne peut qu’appauvrir.

 

Nos architectures se doivent d’être dignes du milieu qu’elles épousent. Chaque mètre carré d’humus qui est supprimé par l’assise de la construction est un acte terriblement violant dans un monde qui court derrière sa propre survie. Cet humus représente l’épaisseur de vie la plus fertile de tout l’écosystème terrestre. Cette réalité ne peut engendrer, de notre part, autre chose qu’une promesse de responsabilité et d’intelligence. Jamais l’architecture doit revêtir une matérialisation qui semble n’être que profanation faite aux champs et aux prairies, aux collines et aux rivières. 

 

Faisons un pas de côté et marquons un temps de silence. L’architecture doit être durable et « écologique », mais aussi et surtout belle, utile, solide, marquée par les qualités du lieu et l’aspiration de son époque. Il n’y a point de salut si nous omettons d’avoir cette vue large dans l’examen de ce qui fait le monde d’aujourd’hui.

[2]La théorie du Genius Loci (l’esprit du lieu) est la base de la phénoménologie de l’architecture qui étudie la relation entre les individus et l’environnement. Genius Loci s’intéresse à l’activité et à l’expérience des individus en examinant leurs modes de vie.

Question de beauté

Il nous ait donné parfois de vivre, de travailler, de consommer et de se mouvoir dans des espaces peu qualifiés, dans lequel une espèce de disgrâce spatiale s’affiche plus ou moins discrètement. Alors, cette absence de beauté nous rend, petit à petit, insensibles à l’égard des lieux qui ou bien nous conduit à fuir cette réalité par peur, souvent justifiée, de nous désenchanter durablement. Ainsi, une rupture s’établit entre soi et son milieu, l’éveil émotionnel étant mis en sourdine.

 

La beauté n’est que la promesse du bonheur[3], disait Stendhal. Dès lors, on ne peut qu’admettre que l’architecture, comme toutes les autres formes d’arts, influe notre état émotionnel, psychique et spirituel. Le lieu, par ses qualités intrinsèques, peut éveiller des sensations de bien-être et de sérénité[4]. La maison peut devenir l’authentique foyer de notre intimité, la chambre – un lieu dédié au sommeil apaisé, le salon – un temps de lumière, de vie et de contemplation, la salle de bain – le lieu d’une renaissance perpétuelle.

 

Généralement, la beauté est une notion qui est volontairement négligée dans la formation des architectes. Cette attitude est adoptée puisque la beauté, sans qu’elle soit spécifiquement recherchée, semble promise à l’architecture dès qu’elle est bien pensée et bien construite. Lorsque en 1980 l’architecte mexicain Luis Barragan reçu le prix Pritzker, il affirmait face à ces paires « Je me suis rendu compte qu’une proportion consternante de textes consacrés à l’architecture ignore les mots beauté, inspiration, magie, fascination, enchantement, ainsi que les concepts de sérénité, d’intimité et de surprise. Tous sont incrustés dans mon âme, et, bien qu’étant pleinement conscient de ne pas leur avoir fait complètement justice dans mon œuvre, ils n’ont jamais cessé de me guider. »

 

Pour lui et beaucoup d’autres, la beauté semble dépasser le bien pensé et le bien construit. C’est une conscience subtile, une rencontre émouvante entre l’humain et son milieu, ce dernier qu’il soit naturel ou anthropisé.  Reconnaitre la beauté c’est admettre implicitement une communion inédite et bienfaisante entre soi et le monde[5].

 

[3] Stendhal dans son ouvrage De l’Amour, chapitre XVII.

[4] Luis Barragan « La sérénité est le vrai seul antidote de l’angoisse et de la peur ; aujourd’hui plus que jamais, l’architecte se doit d’en faire un hôte permanent de la maison, qu’elle soit humble ou somptueuse »

[5] Cependant, la beauté ne peut aucunement être la solution unique face à des états intérieurs, enfantés par les nombreux soucis du monde. On doit attendre de la beauté ce qu’elle a d’inspirant et d’enthousiasment, sans espérer rien de plus que ce qu’elle peut nous offrir subtilement.

Question de méthode

  1. Tout ce qui est à la mode est appelé à se démoder, ou bien comme le résumait Jean Cocteau « la mode c’est ce qui se démode». C’est pour cette raison que notre attitude face à l’écriture architecturale est assez particulière. Nous pensons que l’architecture doit parler d’une époque et non pas d’un moment, du temps long et non pas de la gesticulation esthétisante propre à une décennie. En agissant ainsi on peut conférer une forme d’intemporalité aux formes spatiales obtenues et à leurs définition concrète.
  1. Depuis que nos semblables ont érigé la cabane primitive, nous nous inscrivons dans une histoire millénaire, dans laquelle une superposition d’architectures successives a façonné tous les paysages habités. Chaque époque a inscrit dans la construction les idéaux, les priorités, les valeurs et la virtuosité technique et artistique que leurs temps ont su produire. Sans succomber à la nostalgie ni d’ailleurs à l’amnésie, nos créations doivent faire résonner en elles le substrat hérité et les aspirations de notre époque. Avec beaucoup de finesse, elles peuvent revêtir à la fois une considération respectueuse des temps passés et une fidèle illustration des techniques actuelles, de nos préoccupations sociales, écologiques et culturelles contemporaines.
  1. Les efforts financières et humains mis au service des projets d’architecture sont souvent importants. Les attentes sont sur mesure. C’est pourquoi la compréhension mutuelle entre les commanditaires et les architectes se doit être effective, vraie et limpide. Pour nous le travail d’esquisse est fondamental. Ce temps est déterminant puisqu’il indique la capacité de l’agence à comprendre une demande et à délivrer la réponse qui lui parait la plus approprié face à celle-ci. Tout doit être fait en termes de représentation pour que le client puisse se figurer avec aisance l’ambiance dans laquelle ce qu’il a de meilleur en lui puisse se révéler. Dès le départ nous devons partager l’idée que cette réponse initie un lieu fictif dans lequel il commence à se sentir chez soi, voire en harmonie avec soi.
  1. L’architecte doit convertir les sensations de bien-être en une compréhension logique et raisonnée qui se matérialise dans la construction. Les lieux que nous percevons comme étants séduisants et réconfortants sont l’œuvre d’une créativité qui s’interroge inlassablement sur les désirs qui nous habitent, leurs profondeurs et leurs justifications. C’est ainsi que nous pouvons offrir aux humains des environnements qui satisfont leurs besoins et leurs aspirations, même ceux que nous n’avions même pas conscience d’avoir.
  1. L’architecture doit être rêvée avant d’être construite. Elle peut s’apprécier à travers la beauté de ses formes, par le simple plaisir qui est offert à l’œil sensible mais aussi par la qualité des lieux qui participent à la joie de l’existence humaine. On ne naît pas architecte, on le devient à travers le temps et surtout à travers une formation savante. L’architecture c’est un art, une création soumise à la conduite et au contrôle d’une raison. La garantie d’une qualité d’air, de lumière, de chaleur, de fraîcheur, d’acoustique est soumise à un système de conception et de mise en œuvre complexe, bien appréhendé et réalisé avec soin. Une forme d’intelligence particulière doit révéler la robustesse, la stabilité, la résistance de l’espace bâti face aux intempéries, aux attaques conjuguées des forces de la nature et l’action des hommes.
  1. Si durant la phase d’élaboration le projet d’architecture est malléable, changeant et évolutif, capable de se nourrir des mutations multiples, il change totalement de visage au cours de son exécution. Quand il prend des formes concrètes, le projet est pensé dans ses moindres détails, assumé dans toute sa complexité, clairement défini dans sa singularité spatiale, volumétrique, chromatique. L’architecte se charge de sublimer les intentions des commanditaires et valoriser les lieux d’habitation des futurs usagers. Il est appelé à créer pour des générations entières, pour des êtres qui ressent que l’architecture participe au bonheur de leur vie.
  1. Dans tous nos projets le souci de la qualité environnementale, à l’égard de l’évènement construit et pensé, est omniprésent. Cependant nous ne nous présentons jamais comme étant des porte-étendards de ce qu’on appelle de nous jours « l’architecture durable », « architecture verte » ou bien « architecture HQE[1]». Rendre notre création parfaitement durable, environnementale et « verte » c’est un processus long, fastidieux et plein d’embuches. Nous sommes des pionniers, parfois maladroits, d’un changement inédit de l’architecture contemporaine. Alors, humblement nous cheminons dans ce monde qui cherche à accomplir une belle et bonne mutation écologique, sociale et économique. Engager le cadre bâti dans la bataille environnementale, est une nécessité absolue mais ce combat doit se réaliser par l’alliance subtile et intelligente de la culture technique à la culture architecturale.
  1. L’art de bâtir serait bien inachevé s’il se fonde que sur un écosystème cognitif dans lequel la conception s’appuie exclusivement sur la viabilité des calculs de calories, de décibels, de lux, etc. Evitons que le projet soit une addition de remèdes distincts, acoustique, thermique, olfactif, visuel, surtout envisagés par une quantification distincte. La recherche HQE du confort évacue les dimensions sociales, culturelles, politiques et historiques du projet. Il voit l’être humain qu’à travers sa corporalité sensorielle, dégageant des calories, qui a chaud, qui a froid, qui ne voit pas bien.
  1. Tout ceci est nécessaire et nous l’avons travaillé dans nos différents projets. Nécessaire mais pas suffisant. D’autres questions se posent, et parfois difficiles. Le bâtiment doit entretenir une relation harmonieuse avec son environnement immédiat, quand celui-ci est sans qualités ? Que faire de ce principe admis d’un extérieur malade à ne pas dégrader davantage et de la nécessité incidente de créer un intérieur sain et isolé du dehors par les voies de la technique ? Cette situation proche d’un versant du mouvement sociétal (« se protéger de l’extérieur ») n’est-elle pas lourde de conséquences ?
  1. Il reste à nous, les architectes à mener honnêtement un travail conceptuel pour comprendre que ce qui est visé par la qualité environnementale n’est pas réductible à une pure démarche technique. Quittant des attitudes inscrites depuis des millénaires dans les rapports de l’homme à la nature, conscients de vivre une période sans savoir la nommer, nous avons l’opportunité rare de redonner du sens à leur travail en cherchant à penser et à réaliser des établissements humains à l’aune d’enjeux environnementaux.

 

[6] Tout d’abord, nous pensons que l’architecture n’est pas être que l’objet unique de la Haute Qualité environnementale. Les quatorze cibles de la HQE n’évaluent que les aspects environnementaux du bâtiment, au point que leurs rédacteurs ont écarté le mot « architecture ». Jusqu’en note de fin de texte inaugural, il est stipulé que la HQE est très globale et que seules les questions de pérennité, de sécurité, de confort psychosociologique, de confort spatial et de confort d’activité en sont exclues, soit une large part du projet d’architecture.